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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2009-07-20 | [Этот текст следует читать на // Русском francais] | Submited by Nicole Pottier
Le bazar était tellement bondé que l’air était devenu irrespirable. Une foule de gens passait à côté de moi, me touchait, me poussait, me tirait en direction du courant, sans que je pus y échapper. A un moment donné, je me retrouvai séparée mon mari. Je me hissai sur la pointe des pieds au-dessus de cet océan de têtes, espérant le repérer. En vain. Je pensai crier pour l’appeler, mais le vacarme était si grand que je renonçai à cette idée sur le champ. Le bazar d’Istamboul m’avait engloutie.
C’est alors que j’aperçus la petite boutique, une dentelure parmi les autres constructions, à l’abri du flot qui se déversait dans les ruelles du souk. J’entrai. A l’intérieur s’entassaient toutes sortes de choses, dans une pagaille indescriptible. Il était presque impossible de distinguer un objet d’un autre. Boîtes, bocaux, babioles, pots de fleurs, poêles en bronze et en cuivre suspendues aux clous, objets d’artisanat, récipients contenant des condiments aux odeurs étouffantes. Je sentis que je suffoquai et je voulus sortir lorsqu’un jeune garçon basané coiffé d’un fez rouge bondit devant moi, me prit la main et m’arrêta sur place. Il avait des yeux vifs et sur les lèvres un doux sourire d’enfant. - Je t’en prie, ne pars pas, je t’en prie ! Papa va encore dire que je ne suis pas un bon commerçant si tu pars sans rien m’acheter. Le garçon qui me parlait ainsi s’exprimait dans un hébreu impeccable. Je le regardai étonnée. - Bien, dis-je en souriant, impressionnée. Mais comment se fait-il que tu parles aussi correctement l’hébreu ? - J’ai appris ! me répondit-il brièvement. Mais dis-moi plutôt ce que tu veux m’acheter. Dans notre boutique, tu trouveras de tout. - Que me recommandes-tu ? - Veux-tu acheter quelque chose pour toi ou bien veux-tu faire un cadeau à des amis ? Sans même attendre ma réponse, il prit sur l’étagère une boîte en carton usée et me la tendit. C’est un joyau précieux. Il a été porté par la favorite du sultan. Un joyau ancien et tout à fait remarquable. Sur le coussin d’ouate qui emplissait la boîte se trouvait un bracelet. Il était composé en filigrane, avec de petites pierres rouges que le garçon nomma grenats. Le bracelet avait véritablement l’air ancien. On pouvait le considérer âgé au sens ironique du mot, tout comme j’étais à peu près convaincue que les pierres n’étaient que des imitations en verre coloré. J’avais observé également un petit défaut, à côté du fermoir. Là, la pierre était un peu ébréchée. - Combien coûte t-il ? demandai-je d’un air sérieux, sans laisser paraître mes impressions. - Dix dollars, dit-il sans réfléchir Incrédule, je levai les yeux fixés sur le bracelet. - Dix dollars ? répétai-je, certaine d’avoir mal compris. - Tout à fait ! il n’est pas cher, renchérit le gamin. Tu n’en trouveras pas d’autre comme celui-ci. Il est unique, dit-il en appuyant sur le mot, convaincu de l’avoir emporté. Et il l’avait emporté. - Qui t’a appris à parler aussi bien l’hébreu ? lui demandai-je, bien plus intéressée par le langage de l’enfant que par l’objet en lui-même. - Pourquoi ? Ce n’est pas bien ? me demanda t-il, inquiet. - On dit bijou et non pas joyau, répliquai-je d’un ton didactique. - ça veut dire que je me suis trompé ? - Non, pas vraiment, mais le terme est peu usité. Qui t’a appris l’hébreu ? insistai-je, très curieuse. - Un étudiant d’Israël, avoua l’enfant. Il est resté un temps dans le souk, ici, près de notre magasin. C’est lui qui me l’a appris. Il vendait des tableaux pour gagner de l’argent pour une excursion, sac au dos. Il voulait connaître le monde. Beaucoup de jeunes partent après l’armée. Il m’a dit que c’est ainsi que l’on fait en Israël. Moi aussi je voyagerai plus tard quand je serai grand. Je sais même écrire les lettres en hébreu, ajouta t-il tout fièrement. - Je ne te crois pas, à moins que tu ne me montres. - Je te le montre, si tu m’achètes le bracelet. Je me mis à rire. - C’est d’accord ! je l’achète. L’enfant prit alors un morceau de papier d’emballage et écrivit en majuscules : « SHALOM » Je payai les dix dollars promis et je quittai le magasin. En partant, je serrai sa petite main dans la mienne. - Tu deviendras un excellent marchand. En fait, je crois que tu l’es déjà dès maintenant. Ton père peut être fier de toi. Tu as réalisé une bonne affaire. - Et toi aussi, me riposta t-il à ce moment. Tu verras que ce n’est pas un bracelet ordinaire. Il me raccompagna ensuite jusqu’à la porte, et grâce à ses indications, je trouvai aisément la sortie du souk. * Les vacances passées en Turquie furent merveilleuses. L’excursion, très bien organisée. Nous nous promenâmes dans les sites touristiques parmi les plus beaux et les plus intéressants du pays. Certains d’entre eux, absolument uniques, des monuments de la nature, qui nous enchantèrent plus particulièrement. Mon cahier de voyage se remplissait de noms, de lieux, d’évènements et d’impressions. La Turquie m’avait conquise. Au bout d’une semaine, nous revînmes à Istamboul d’où nous devions rentrer à la maison. En faisant les bagages, je constatai que je n’avais pas suffisamment de cadeaux pour tous les amis auxquels je voulais offrir un souvenir de Turquie. Surtout pour Yvonne, la femme qui m’aide pour le ménage, je devais absolument lui acheter quelque chose. Je chaussai mes sandales, je pris un sac qui se trouvait à portée de main sur la table et, en soupirant de dépit, je me dirigeai vers le souk. Près de l’entrée, je reconnus la boutique du petit turc. Au comptoir se trouvait maintenant un homme grand, agréable à la vue, la moustache touffue et des yeux dans lesquels je reconnus le regard du gamin, ma vieille connaissance. Dès qu’il me vit, il vint à ma rencontre avec une grande courtoisie, m’invitant à visiter son magasin. - Vous pouvez trouver chez nous tout ce que vous voulez, me dit-il. Cadeaux, souvenirs, nous avons de tout. Je promenai mon regard sur les étagères cherchant quelque chose qui me convienne, lorsque, blotti parmi d’autres objets, j’aperçus le bracelet. Sans le vouloir, je me rappelai les mots du garçonnet qui m’avait étonnée en parlant hébreu. - Je voudrais voir ce bracelet, si c’est possible. - Avec plaisir, me dit le vendeur en se dépêchant de me le montrer. Je m’attendais à ce qu’il me dise qu’il s’agissait du bracelet de la favorite du dernier sultan, qu’il était spécial, mais il me le mit dans la main, sans commentaire. Il était identique à celui que j’avais acheté une semaine auparavant. Croyant que j’allais l’acheter, le marchand me sourit. - C’est un joli bracelet, travaillé en filigrane, et les pierres sont si bien polies qu’elles vous ravissent les yeux. Pour vous, ce ne sera que trois dollars. En l’écoutant, j’avais envie de rire. Un instant, je fus tentée par l’idée de lui raconter le marché conclu avec son fils. J’étais sur le point de le lui rendre, lorsque j’aperçus le défaut, ce petit défaut près du fermoir. Impossible ! Deux bracelets avec le même défaut, au même endroit ? Impossible ! - Regarde, m’écriai-je sans m’en rendre compte. Et je lui montrai l’ébréchure de la pierre près du fermoir. Sans comprendre ma surexcitation face à l’incroyable coïncidence et considérant que le prix de l’objet était le motif de cette exclamation de surprise, l’homme hocha de la tête - C’est vrai. Je vous prie de croire que je l’ignorais. Toutefois, le bracelet est joli, et le défaut ne s’aperçoit presque pas. Si vous décidez de l’acheter, je vous le laisse à deux dollars. - Je vais l’acheter, décidai-je à ce moment. Le fait était incontestable. Le même bracelet, exactement le même, acheté une semaine auparavant. Je me trouvai près de la porte quand, depuis le fond du magasin derrière le rideau de perles, le petit turc apparut. Il me reconnut et me sourit. Son regard s’arrêta sur le bracelet dans ma main. Il y eut alors un moment de silence, mais qui se dissipa aussitôt. Ses yeux brillèrent joyeusement, lorsqu’il me dit, en arrondissant soigneusement les mots : - C’est un joyau particulier. Un bon choix ! Le père rit en le regardant avec amour. Tous deux se ressemblaient parfaitement. - Il voudrait avoir l’air plus grand. Parfois il reste dans la boutique à ma place. Il se débrouille bien, le petit, ajouta t-il avec fierté. - Oui, acquiesçai-je. C’est un enfant intelligent. Il connaît très bien l’hébreu. Puis je sortis du magasin. L’enfant me suivit. - Je peux me débrouiller toute seule maintenant, lui dis-je, pensant qu’il voulait me conduire. Mais il me prit le bracelet de la main, comme s’il avait voulu le soupeser, et il toucha les pierres une à une, avec soin. Il tressaillit soudainement. Sur le bout bombé de son index, une goutte de sang apparut, comme si la couleur rouge grenat avait coulé de la pierre. - Tu t’es égratigné, dis-je. Une pierre est ébréchée, près du fermoir. Tu as mal ? Concentré, le garçon ne faisait pas attention à moi. Finalement, il leva les yeux vers moi et me demanda, sans aucun rapport avec ma question : - Quand rentres-tu en Israël ? - Ce soir. Pourquoi veux-tu le savoir ? - Annule ton vol jusqu’à demain. - Comment cela, l’annuler ? Ce n’est pas possible. Et de plus, pourquoi l’annulerai-je ? - Annule-le ! C’est tout ce que je peux te dire. Il tourna les talons et rentra dans la boutique, disparaissant derrière le rideau de perles du fond du magasin, me laissant là, dans la ruelle, immobile et muette. Je déplaçai mes pieds avec peine sur le macadam. Me heurtant comme une aveugle aux gens qui s’écoulaient à mes côtés, j’arrivai en toute hâte à l’hôtel. Tout semblait aberrant, comme dans un rêve, où l’on ne comprend rien et où les choses échappent au contrôle de la raison. Mais je ne rêvais pas et quelque chose en moi, sans pouvoir préciser quoi, me poussait à ne pas ignorer le présage. * Mon mari remarqua immédiatement mon trouble. - Que t’arrive t-il ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Tu ne te sens pas bien ? - Rien, rien, me hâtai-je de lui répondre, mais… j’ai une demande. Je voudrais annuler le retour. Je t’en prie ! Annulons et changeons pour demain, si c’est possible. Je savais dès avant notre départ de chez nous qu’il existait un vol le lendemain. Il me regarda un moment ahuri. - Annuler ? Comme ça, tout d’un coup ? Comment te figures-tu que ce soit possible ? Il s’est passé quelque chose ! Je l’ai su dès que tu es entrée. Cela se voit sur ton visage. - Non, mon chéri, le rassurai-je. Rien de sérieux, mais… et je m’arrêtai, confuse. Prends-le comme un caprice, si tu veux. Seigneur, comment aurais-je pu lui raconter ? Même l’achat de ces bracelets pour douze dollars semblait être une extravagance sans aucune logique. Au lieu de lui fournir une explication, je me surpris à réitérer ma demande. - Je t’en prie, téléphone à l’aéroport. Mon mari se contenta de hausser les épaules, comme lorsqu’on réagit face aux caprices d’un enfant gâté. Il se dirigea vers le téléphone et forma le numéro. Dans le récepteur, on entendit la voix aimable d’une hôtesse : « Bien sûr, vous pouvez annuler le vol, si vous avez des problèmes personnels. Nous sommes hors saison et nous avons des places disponibles pour le vol de demain matin. Vous trouverez deux billets au guichet El-Al. Ils seront retenus pour vous. Mais je vous demande de ne pas être en retard. Les contrôles à l’aéroport sont sérieux et prennent beaucoup de temps. » - Merci, répondit mon mari et il raccrocha le récepteur. Je ne comprendrai jamais les femmes, mais toi, je te croyais différente. Je me tournai vers lui en souriant - Parfois, je ne me comprends pas moi non plus, mon chéri. Je commençai à faire les bagages, absente, les pensées distraites, mais bientôt, j’abandonnai. J’avais suffisamment de temps. Pour me calmer, je pris le journal de voyage et je commençai à écrire fébrilement. Mon mari s’installa dans un fauteuil et alluma la télévision. - Si je n’avais pas prêté attention à tes caprices, nous serions maintenant en route vers la maison, l’entendis-je marmonner mécontent et tournicotant les boutons de l’appareil. En mon for intérieur je reconnaissais qu’il avait raison. C.N.N. Des images furtives défilaient sur l’écran. Tout à coup la voix du présentateur devint grave. "Tentative de détournement d’un avion El-Al, via la Turquie, Istamboul. Un terroriste a attaqué avec un couteau une hôtesse de l’air qui se trouvait près de la cabine de pilotage. Le service de sécurité israélien qui se trouvait à bord de l’avion a déjoué le plan criminel. L’enquête est en cours." Je sautai sur mes pieds. Mes genoux tremblaient. Mon mari se leva du fauteuil, en me regardant étrangement. - J’attends une explication, me dit-il en me fixant des yeux - Tu as raison, tu la mérites, admis-je en soupirant. Assieds-toi et écoute-moi. Puis je lui racontai tout, sans omettre le moindre détail, sur l’enfant et le bracelet, sur le défaut et le présage. - Montre-moi le bracelet, je voudrais le voir, s’il te plaît. Je courus chercher mon sac, je l’ouvris, mais nulle trace du bracelet. Je fouillai chaque poche, chaque repli de la doublure. - Il est peut-être tombé dans la valise, parmi les affaires, dis-je en essayant de garder mon calme. - Es-tu sûre que tu l’as mis dans ton sac ? Ou du moins, es-tu sûre que tu l’avais en quittant la boutique ? Je revis en pensée la main de l’enfant et la goutte de sang sur le doigt. Rien d’autre. - Je ne sais pas, balbutiai-je… c’est bizarre, mais je ne peux pas m’en souvenir. (Traduction et version française : Clava Ghirca, Nicole Pottier) |
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