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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2011-04-17 | [Этот текст следует читать на // Русском francais] | Submited by Dolcu Emilia
J’étais fils unique et j’avais perdu ma mère depuis dix ans.
Autrefois, peu flatté d’avoir le droit de labourer la terre l’épée au côté, mon père, chef d’une maison historique, à peu près oubliée en Auvergne, vint à Paris pour y tenter le diable. Doué de cette finesse qui rend les hommes du midi de la France si supérieurs, quand elle se trouve accompagnée d’énergie, il était parvenu, sans grand appui, à prendre position au cœur même du pouvoir. La révolution renversa bientôt sa fortune ; mais ayant épousé l’héritière d’une riche maison, il s’était vu sous l’empire, au moment de restituer à notre famille son ancienne splendeur. La restauration, qui rendit à ma mère des biens considérables, ruina mon père. Il avait jadis acheté plusieurs terres données par l’empereur à ses généraux, en pays étranger ; et, depuis dix ans, il luttait avec des liquidateurs et des diplomates, avec les tribunaux prussiens et bavarois pour se maintenir dans la possession contestée de ses malheureuses dotations. Aussitôt mon père me jeta dans le labyrinthe inextricable de ce vaste procès d’où dépendait tout notre avenir. Nous pouvions être condamnés à restituer les revenus par lui perçus, ainsi que le prix de certaines coupes de bois faites de 1814 à 1817 ; or, dans ce cas, le bien de ma mère suffisait à peine pour sauver l’honneur de notre nom. Ainsi, le jour où mon père paraissait en quelque sorte m’émanciper, je tombais sous le joug le plus odieux. Il fallut combattre comme sur un champ de bataille, travailler nuit et jour, aller voir des hommes d’état, tâcher de surprendre leur religion, tenter de les intéresser à notre affaire, les séduire, eux, leurs femmes, leurs valets, leurs chiens, et déguiser cet horrible métier sous des formes élégantes, sous d’agréables plaisanteries. Alors je compris la figure fatiguée de mon père. Pendant une année environ, je menai en apparence la vie d’un homme du monde ; mais cette dissipation et mon empressement à me lier avec des parents en faveur ou avec les gens qui pouvaient nous être utiles, cachèrent d’immenses travaux. Mes divertissements étaient encore des plaidoiries, et mes conversations, des mémoires… Jusque là j’avais été vertueux par l’impossibilité de me livrer à mes goûts de jeune homme ; puis, faute de temps et d’argent ; mais craignant de causer la ruine de mon père ou la mienne par une négligeance, je fus mon propre despote : je n’osais me permettre ni un plaisir ni une dépense. Enfin, quand nous sommes jeunes, quand, à force de froissements, les hommes et les choses ne nous pas encore enlevé cette fleur de sentiment si délicate, cette vierge verdeur de pensée, cette noble et pure conscience qui ne nous laisse jamais transiger avec le mauvais, nous sentons vivement nos devoirs, nous avons un honneur, nous sommes francs et sans détours. Alors, j’étais ainsi, je voulais donc justifier la confiance de mon père. Naguère, je lui aurait dérobé délicieusement une chétive somme ; mais, portant avec lui le fardeau de ses affaires, de mon nom, de sa maison, je lui eusse donné secrètement mes biens, mes espérances, comme je lui sacrifiais mes plaisirs… Heureux même de mon sacrifice !... Aussi, quand M. de Villèle exhuma, tout exprès pour nous, un décret impérial sur les déchéances, et qu’il nous eut ruinés, je signai la vente de mes propriétés, n’en gardant qu’une île sans valeur, située au milieu de la Loire et où se trouvait le tombeau de ma mère. Aujourd’hui, peut-être, les arguments, les détours, les discussions philosophiques, philantropiques et politiques ne me manqueraient pas pour me dispenser de faire ce que mon avoué nommait une –bêtise… Mais à vingt-et-un ans, nous sommes, je le répète toute générosité, toute chaleur, tout amour… les larmes que je vis dans les yeux de mon père furent alors, pour moi, la plus belle des fortunes ; et le souvenir de ses larmes fait souvent ma consolation. Dix mois après avoir payé ses créanciers, mon père mourut de chagrin. Il m’adorait et m’avait ruiné. Cette idée le tua. En 1826, à l’âge de vingt-deux ans, vers la fin de l’automne, je suivis tout seul le convoi de mon premier ami, de mon père… Peu de jeunes gens se sont trouvés , seuls avec leurs pensées derrière un corbillard, perdus dans Paris, sans avenir, sans fortune. Les orphelins recueillis par la charité publique ont toujours un père, un avenir, une fortune. Leur fortune est le champ de bataille ; leur père, le procureur du roi, le gouvernement ou l’ospice… Moi, je n’avais rien ! – Rien !... Trois mois après, un commissaire-priseur me remit onze cent douze francs, produit net et liquide de la succession paternelle. Des créanciers m’avaient obligés de faire la vente de notre mobilier. Accoutume dès ma jeunesse à donner une grande valeur à tous les objets de luxe dont j’étais entouré, je ne pus m’empêcher de marquer une sorte d’étonnement à l‘aspect de ce reliquat exigu. - Oh! me dit le commissaire-priseur, tout cela était bien rococo! Quel mot épouvantable!... Il flétrissait toutes les religions de mon enfance, et me dépouillait de mes premières illusions les plus chères de toutes… Ma fortune se résumait par un bordereau de vente. Mon avenir gisait dans un sac de toile, à peine gonflé par onze cents douze francs. La société m’apparassait dans la personne d’un huissier priseur qui me parlait le chapeua sur la tête. Enfin, un valet de chambre qui me chérissait, et auquell ma mère avait jadis constitué quatre cents francs de rente viagère, me dit en quittant la maison d’où j’étais si souvent sorti joyeusement en voiture, pendant mon enfance : - Soyez bien économe! Monsieur Raphaël!... Il pleurait le bon homme. |
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